Bijoux de l’Antiquité et pastiches romantiques : la Collection Campana.

A la suite de l’ouverture au public de cette exposition mémorable au musée du Louvre, il paraît opportun de nous rafraîchir un peu la mémoire. Si l’on songe que les découvertes archéologiques, ou leurs exhibitions publiques, ont, à de nombreuses reprises en Europe (et dans notre pays), suscité des passions chez les mécènes, révélé des vocations chez les artistes, lancé de véritables écoles, renouvelé les critères de la mode et infléchi le cours des arts décoratifs, on n’abordera pas sans un certain intérêt, outre de pur esthétisme, cette nouvelle exposition. Notre époque qui sait si bien faire du « fashion » avec de l’ancien, va-t-elle, une nouvelle fois, nous vêtir en toge, nous coiffer « à la Titus » et barder notre élégance de camées, d'intailles et de fibules ?

Le marquis Giovanni Pietro Campana di Cavelli (1808-1880) reçut en 1831, des autorités romaines, l’autorisation d'entreprendre des fouilles à Ostie, le long de la via Latina, à Frascati et à Cerveteri, où on lui doit la mise à jour de la tombe « dei Relievi ». C’est ainsi qu’il constitua le fond de sa collection d'antiques. Il l’enrichit ensuite en achetant des oeuvres à différents collectionneurs italiens. Il parvint de cette façon à réunir une très importante collection d'antiques comprenant, entre autres, des vases grecs et étrusques et plus de quatre cents marbres. Collectionneur passionné et donc, forcément, déraisonnable, il entreprit en 1855 de financer ses achats avec les avoirs du Mont-de-Piété de Rome dont il était le directeur depuis 1833. Il mit alors en gage sa collection et, du moins selon ses détracteurs, ruina la charitable institution. Toujours est-il que, convaincu de malversation, il fut arrêté en 1857 et ses biens furent séquestrés. Un procès houleux s’ensuivit et il fut contraint à l’exil. Il en profita pour rédiger un catalogue général de sa collection (le « Cataloghi Campana ») et faire restaurer les bijoux antiques par ses amis Castellani. Ceux-ci le soutinrent jusqu’au bout et allèrent jusqu’à créer une société par actions pour rembourser le passif, mais rien n’y fit ! Le Vatican mis en vente et dispersa la collection. Collection très variée, essentiellement constituée d'antiquités grecques, étrusques et romaines, mais également de majoliques Renaissance et de tableaux de primitifs italiens…
Les grands musées d'Europe rivalisèrent pour s’en rendre possesseurs et mobilisèrent leurs gouvernements respectifs. A l’issue d'un intense ballet diplomatique, le Tsar Alexandre II put ainsi acquérir près de six cents pièces. D’autres prirent les chemins de Londres, Florence et Bruxelles. Bien peu demeurèrent à Rome, aux musées Capitolins, dirigés par Augusto Castellani (1829-1914), l’auteur de Dall’ Oreficeria italiana (1872).
Ce fut finalement Napoléon III qui, grâce à l’entremise d'Alessandro Castellani (1823-1883), eut la fierté d'acquérir pour la France, en 1861, le plus gros de la collection. Elle fut exposée au Palais de l’Industrie dès 1862 et, à la fin de cette année, fut déposée au Louvre.

Une partie de la collection formait un groupe à part : les bijoux. La plupart étaient étrusques, trouvés lors des nombreuses fouilles commises en Etrurie à la fin des années 1820. Mais il y avait aussi des pièces grecques, hellénistiques, romaines et même byzantines. Sans compter un certain nombre de faux ou de pastiches, composés, parfois, à base d'éléments anciens remontés, en particulier par la maison Castellani.

Le nom de cette maison renommée ne peut être dissocié de celui de Campana. Fortunato Pio Castellani (1794-1865), joaillier et marchand, fonda sa première maison d'orfèvrerie à Rome en 1814. Antiquaire éclairé, il suivit de très près les trouvailles archéologiques d'Etrurie et se targua de percer à jour les secrets perdus des Anciens (la granulation par exemple) et d'en égaler les chefs d'œuvre. Grâce au talent de son collaborateur Michelangelo Caetani, il commença à créer une collection de bijoux pastichés de l’antique qui n’eut d'abord qu’un succès limité à un petit cercle d'aficionados. Mais, installé à Rome avec ses fils (Alessandro et Augusto), il finit par rentrer, très logiquement, en relation d'amitié avec le délicieux et raffiné marquis, dont il commença de cataloguer et restaurer la collection en 1855, parachevant ainsi sa connaissance des techniques anciennes.
De même que l’était le cabinet du marquis Campana, dès les années 1850, son officine devint un lieu de visite incontournable pour les esthètes de passage à Rome, les Anglais les premiers. Pour des raisons politiques les Castellani durent quitter Rome entre 1860 et 1870 et ouvrirent des succursales à Naples, à Paris, sur les Champs-Elysées (c’est ainsi qu’Alessandro fut reçu à la cour impériale) et à Londres, en association avec Giuliano (1831-1895). Leur réputation devint européenne. Castellani d'ailleurs n’était pas le seul à produire des pastiches de la bijouterie antique, il convient par exemple de citer à Rome même son confrère Marchesini. A Naples, on trouve aussi Giacinto Melillo, formé à l’école d'orfèvrerie d'Alessandro Castellani, installé dans la ville en 1863.

En 1860, Alessandro Castellani présenta à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, une importante communication sur les sources d'inspiration antiques dans la joaillerie. En 1861, suivait l’acquisition de la collection Campana par la France, exposée dès l’année suivante. Quelques célèbres joailliers parisiens, fleurons de notre artisanat français, subjugués par l’enthousiasme du maître italien, éblouis par les fastes « campaniens » (reproduits par le dessinateur Eugène Julienne dans son « Musée Napoléon III »), voulurent relever le défi et se lancèrent à leur tour, avec une grande réussite, dans l’aventure archéologique et abandonnèrent les ennuyeux diamants sertis en triste argent, au profit des camées, des intailles, des mosaïques et autres cabochons rehaussés d'or mat.
Il convient de citer, parmi eux, Prosper-Eugène Fontenay (1823-1887), joaillier et historien du bijou, qui sut donner sa propre interprétation neuve et originale des « bijoux étrusques » qu’il présenta à l’Exposition universelle de 1867, Jules Wièse (1818-1890), ancien contremaître du célèbre Froment-Meurice, médaille d'or à l’Exposition de Londres de 1862 et qui copia aussi des bijoux de style mérovingien (en hommage à notre patrimoine national) et même Frédéric Boucheron (1830-1902) qui réalisa un très beau collier à frange de style hellénistique (actuellement conservé au British Museum, Hull Grundy gift). A Londres, furent également influents les joailliers Giuliano (associé de Castellani) et Phillips.


Il serait toutefois faux de croire que, dans la bijouterie française, le style archéologique date de Napoléon III. Il y eut, en fait, de nombreuses périodes en France où s’imposa le goût néo-classique dans les arts décoratifs. Sans remonter à la Renaissance carolingienne (9e siècle), les guerres d'Italie à la fin du 15e siècle et sous François Ier, rapportèrent en France, avec les artistes et artisans transalpins, la première mode « romaine ». Le sac de la Ville éternelle, en 1527, par les spadassins de Charles de Bourbon, rajouta une nouvelle dose de romantisme et de tragique à ces ruines dont on profanait une fois de plus le marbre vénérable. En bijouterie, cela se traduisit principalement par une passion extrême pour toutes les gemmes gravées.
Le phénomène se renouvela après les premières découvertes d'Herculanum et de Pompéi (après 1730) qui fournirent une source inépuisable d'ornements antiques à des artisans soucieux de se renouveler tout en collant au goût du jour. Le dernier chic, fut alors, pour l’homme de goût formé à l’Humanisme classique, d'exhiber à son doigt des joncs « romains » sertis d'intailles ou de camées. La marquise de Pompadour n’échappa pas à une mode dont elle était d'ailleurs, pour une part, la subtile inspiratrice. Elle prit donc des cours de glyptique auprès du maître Jacques Guay et réussit à produire quelques camées de bonne venue, destinés, comme il se doit, à son royal amant et que nos yeux plébéiens peuvent à présent admirer au cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale à Paris, haut lieu de jouissance pour les passionnés de glyptique.

L’expédition d'Egypte et le style Empire, remirent une nouvelle fois l’Antiquité au goût du jour. Caroline Bonaparte, femme de Murat, roi de Naples (1808) parait son attrayante personne de l’or tiré des cendres de Pompéi. La Princesse de Canino, épouse de Lucien Bonaparte, se vêtait, aux bals de Rome, des parures arrachées aux nécropoles profanées d'Etrurie. Mais si, à cette époque, l’ensemble des arts décoratifs donnèrent à plein dans un classicisme sobre et dépouillé, ils n’échappèrent pas à une certaine sécheresse académique qui les disqualifia rapidement.

En revanche, la glyptique connut, de 1750 à 1840, un véritable Age d'Or, car la demande était générale, tant élitiste que populaire et soutint longtemps et activement la création. Aussi bien la moindre brunette Napolitaine, friande de camées en corail, que le riche prince Poniatowski, un des plus brillants mécènes de son temps, semblait soucieux de faire revivre les fastes de l’Empire. Les plus célèbres maîtres de l’époque étaient italiens, racines obligent !
N’oublions pas non plus la vogue de la micromosaïque (« smalti filati »), transposition en bijouterie du principe des mosaïques monumentales de l’Antiquité, qui naquit également à Rome, vers 1775, des travaux du maître Giacomo Raffaelli (1743-1836).

De la même façon, dans le courant du 19e siècle, les découvertes archéologiques successives (Etrurie, Assyrie, Egypte (canal de Suez), Irlande…) eurent un écho immédiat dans la bijouterie, les grandes Expositions Internationales dont la première eut lieu en 1851, contribuant à populariser le style appelé en Angleterre «antic revival » et en France « style étrusque ». Lorsque la maison Castellani exposa ses créations à Londres en 1862, elle s’y tailla un vif succès. Comparable à celui que connut, à Paris, la même année, l’exhibition des trésors Campana que nous allons pouvoir très prochainement redécouvrir.